Biodiversité marine & écosystèmes

Une étude scientifique révèle les surprenantes capacités d’adaptation de la faune des sources hydrothermales profondes

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Le bras du robot téléopéré français Victor 6000 effectuant des mesures physico-chimiques sur un assemblage de moule Bathymodiolus azoricus sur l'édifice hydrothermal Capelinhos.

Cette étude scientifique s'est concentrée sur une zone encore peu explorée, l'édifice hydrothermal Capelinhos, découvert en 2013 dans la partie nord de la dorsale médio-Atlantique, à 1700 mètres de profondeur sur le champ hydrothermal Lucky Strike. Les fluides émis par ces cheminées sont potentiellement plus toxiques que ceux des sites voisins jusque-là étudiés, avec un pH plus acide et des concentrations plus élevées de métaux lourds. Néanmoins, un écosystème riche a été découvert, avec une faune très similaire à celle des habitats des sources voisines. Cette découverte est publiée dans la revue Scientific Reports.

Une équipe scientifique multidisciplinaire de l'Université de Victoria (Canada), l'Ifremer (France), l'Université de Liège (Belgique) et le Centre d'Études Avancées de Blanes (CEAB-CSIC), a étudié la faune de l’un des habitats les plus extrêmes sur la planète : les sources hydrothermales profondes. Et plus précisément celle de l’'édifice hydrothermal Capelinhos situé à 1.5 kilomètre de Lucky Strike, un grand champ hydrothermal localisé dans la partie nord de la dorsale médio-Atlantique au large des Açores.

Les sources hydrothermales profondes se trouvent dans des zones d'intenses activités volcanique et magmatique appelées dorsales, là où se forme la nouvelle croûte océanique. À ces endroits, l'eau de mer pénètre le plancher, réagit chimiquement avec des roches chaudes et atteint des températures pouvant aller jusqu'à 400°C, avant d'être expulsée sous forme de fluides hydrothermaux, un processus similaire à celui des geysers terrestres. Une faune spécialisée colonise ces habitats hostiles, grâce à la présence de microorganismes capables de produire de l'énergie à partir des composés chimiques des fluides, plutôt que d'utiliser l'énergie solaire comme la grande majorité des producteurs primaires.

La découverte d’une faune abondante sur un édifice hydrothermal particulièrement inhospitalier

Capelinhos contraste avec les sites hydrothermaux du champ Lucky Strike car il présente un environnement plus acide (faible pH) et des concentrations plus élevées de métaux, en particulier le fer. Étant donné la toxicité potentielle de ces fluides, les scientifiques s'attendaient à trouver une diversité plus faible et des espèces différentes de celles des édifices à proximité. Étonnamment, ils ont découvert un écosystème très riche, où plusieurs espèces de crustacés, de mollusques et de vers marins prolifèrent, donnant lieu à une composition faunique similaire à celle des autres édifices aux conditions moins extrêmes.

Vue générale de l’édifice hydrothermal Capelinhos, situé au niveau du champ hydrothermal Lucky Strike, à une profondeur de 1700 mètres au nord de la dorsale médio-Atlantique.

Des différences notables au niveau des ressources alimentaires et des processus biochimiques ont cependant été observées, permettant à ces animaux d'acquérir l'énergie nécessaire à leur survie. Au lieu des processus d'oxydation du sulfure d’hydrogène dominant dans d'autres écosystèmes hydrothermaux, les données acquises dans cette étude suggèrent un rôle plus important du méthane.

Les résultats de cette recherche, publiés dans la revue Scientific Reports, mettent en évidence la grande plasticité environnementale et trophique de la faune des sources hydrothermales. Ils confirment également le rôle important de la moule Bathymodiolus azoricus sur les communautés faunistiques. En effet, cette espèce « ingénieure » induit de petites turbulences qui améliorent la dilution des fluides riches en métaux avec de l'eau de mer, atténuant leurs concentrations dans l'environnement, formant ainsi un habitat complexe qui permet l'installation d'une faune associée diversifiée, malgré les fortes contraintes environnementales.

Joan Alfaro Lucas, premier auteur de l'étude, actuellement à l'Université de Victoria au Canada, commente : "L'édifice Capelinhos a été découvert récemment et cette étude est la première à décrire sa faune. Nos connaissances antérieures sur la chimie de ses fluides nous faisaient penser qu'il s'agirait d'un édifice très inhospitalier, même pour la faune spécialisée de ces environnements. Le fait que ces organismes puissent vivre à Capelinhos est surprenant, mais encore plus lorsque l'on considère qu'ils utilisent des ressources complètement différentes de celles de la faune des édifices voisins. Cependant, cela a un sens éco-évolutif parfait, car la faune hydrothermale peut coloniser de nouveaux habitats et ainsi maintenir des populations qui garantissent leur viabilité dans ces écosystèmes extrêmes et dynamiques".

Un autre auteur, Daniel Martin, chercheur au CEAB-CSIC, souligne : "Notre étude fournit non seulement des informations sur la richesse et l'abondance de la vie dans les profondeurs océaniques, encore si méconnues, mais met également en évidence l'énorme versatilité de certains organismes marins. Face à des changements environnementaux majeurs - pouvant même mener à des conditions extrêmes - il y aura toujours des formes de vie capables de s'adapter, de vivre et de vivre bien".

Les chercheurs abordent ainsi d’un autre angle l'étude du métabolisme des organismes habitant ces environnements extrêmes, qui semble assez flexible. Cela ouvre de nouvelles opportunités pour explorer la capacité incroyable des êtres vivants à acquérir l'énergie dont ils ont besoin pour vivre. En ne dépendant pas d'une source alimentaire spécifique, la gamme d'environnements pouvant être colonisés avec succès est élargie.

Nos découvertes nous aident à mieux comprendre ces environnements uniques et inaccessibles que, plus que jamais, nous devons explorer. Les composés chimiques présents des fluides et qui donnent vie à la faune des sources hydrothermales génèrent également des dépôts minéraux qui intéressent les industriels. L’éventuelle exploitation de ces dépôts provoquerait des impacts encore mal connus sur cette faune dont on démontre aujourd’hui les capacités d’adaptation hors-normes. Sans une connaissance approfondie du fonctionnement de ces écosystèmes, aucune exploitation n’est raisonnable.

Jozée Sarrazin
chercheure en écologie benthique à l'Ifremer
et à l'origine de cette étude

Ces résultats ont été obtenus dans le cadre de l’observatoire multidisciplinaire non câblé EMSO Açores, consacré à l'étude intégrée à long terme des processus de la dorsale médio-océanique.

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